Oublié par le plus grand nombre, éclipsé par l'ombre des grands écrivains sociaux nord-américains de l'entre-deux guerre comme Faulkner et Steinbeck, Erskine Caldwell demeure comme l'un des grands témoins de ce sud des États-Unis où règne alors férocement la misère, une implaquable discrimination raciale, le poids d'une tradition par trop pesante qui avilit la dignité humaine et mène trop souvent à la déchéance physique et morale. C'est une expérience qu'il faudrait redécouvrir pour ceux qui s'intéressent à la condition sociale de l'homme et à l'histoire de cette Southern America. Nous espérons par ce site redonner le goût à chacun de relire ou découvrir cette œuvre.
Né en 1903, Caldwell est le fils d'un pasteur presbyterien dont il héritera le goût des choses sérieuses, le sens des responsabilités, le goût du voyage. Il quitte sa famille à 18 ans pour effectuer une multitude de petits boulots (garçon de ferme, de café, scieur de long, joueur de foot, chauffeur de taxi, cuisinier…) avant de se mettre à éditer quelques livres. Il devient l'un des maîtres de la nouvelle dans l'entre-deux guerre avec des récits comme « Georgia Boy » dans une écriture très tranchante tant dans ses observations, la profondeur de l'analyse que par son regard aigu. Néanmoins, on reprochera parfois à cette écriture son souffle court, de mettre le fer sur les plaies de la civilisation américaine, un pessimisme systématique. Caldwell « n'hésite pas à élever la voix et mettre son art, sans le sacrifier, au service du menu peuple» d'après J.M. Raymond. Et en effet, il va d'un bout à l'autre des États-Unis en quête de douleurs, de scènes sordides, d'abus sociaux, questionnant sans cesse accompagner de son épouse. Ses écrits sont une lutte continuelle contre une civilisation trop hâtive qui ne s'est élevée plus vite que pour laisser plus de déchets. Ainsi la misère du pauvre fermier de « Tobacco Road présente ce dernier comme la proie d'un système économique déplorable.
Cette grande expérience de la misère éveille sa conscience sociale et le poussa à écrire contre l'injustice. Mais à la différence d'un Steinbeck dans « Les raisins de la colère », il peint plutôt, dans « La route au tabac », simplement et sans prendre fondamentalement parti ni s' appitoyer sur ces personnages, aussi dépourvus soient-ils de préoccupations morales que de ressources matérielles. Le Sud tel que nous le représente Caldwell, regorge d' horreurs, de misères, d' idiots et de monstres. Il est pourtant à l'opposé de celui de Faulkner. On n'y retrouve ni bruits ni fureur, pas de sens de la tragédie, aucune confrontation de l'homme et de son destin. Il s'agit plus simplement d'une évidence, un récit direct, sans nuances ni détours psychologiques qui font de Caldwell un conteur remarquable. L' épopée de grotesques de « La route au tabac » est écrite sur un ton uniforme, comme si le narrateur était aussi peu conscient que ses personnages.